Histoire
Trigger warning : contenu sexuel, grooming, sous-entendus de violences sexuelles.
New-York, été 1948« Ne lui en veux pas trop,
papi. Il est juste fatigué. Tu sais qu’il ne veut que ton bien, hm ? »
Habitué à ce goût de fer dans la bouche, l’adolescent ne réagit pas tout de suite. La salle de bains lui semble plus exiguë que jamais, la faute à son cerveau encore secoué par la sensation des phalanges de son père contre la pulpe de sa lèvre. Silencieux, il lève les yeux vers le visage de sa mère, parcourt le moindre détail de celui-ci. Ses petites rides, les poches qui soulignent ses yeux. Le vide de son regard, qui se veut pourtant aussi chaleureux que possible, provoque une sorte de haut-le-cœur au jeune homme. Il ne comprend pas pourquoi elle s'entête à faire semblant d’aller bien. De pouvoir l’assumer, de pouvoir porter, sur ses frêles épaules, la responsabilité d’un fils qui ne s’en sort pas à l’école, et qui n’a pas envie de passer sa vie à se salir les mains sur les chantiers des gratte-ciels. Il n’est pas si stupide que ça, il a très bien compris qu’il n’est rien de plus qu’une source d’anxiété en plus pour ses parents, en dépit de tout l’amour qu’ils lui portent.
«
J’fais de mon mieux. Désolé. - Chut. »
Sa lèvre le brûle, elle prend trop de temps à lui désinfecter la plaie. Il sait qu’elle fait ça pour pouvoir admirer le visage de son fils de plus près, parce qu’elle n’a plus l’occasion de cajoler son enfant comme elle le faisait à bord du bateau en partance pour New-York. L’Espagne n’était plus un lieu de sûreté pour personne. La solution était toute trouvée. Les Etats-Unis leur avaient promis monts et merveilles, et pourtant, la guerre les avait suivi. Elle s’en prenait à tout le monde, à l’époque. Est-ce qu’il a déjà connu ne serait-ce qu’un minimum la sensation de paix ? Oh, non, ça, jamais. À la maison comme dehors, dans le reste du monde, rien n’allait.
Et lui, il ne pouvait qu’endurer les mots et les coups de son père, les regards désespérés et le silence résigné de sa mère. Il ne pouvait qu’observer le patriarche se plier en quatre pour les nourrir. Au fond, il a toujours su qu’ils n’ont toujours agi que pour son bien. Se décarcasser pour le futur de leur progéniture. Efforts qu’il a fini par piétiner à coups de pulsions luxueuses et d’obsessions non orthodoxes.
Les fesses trempant dans une immonde flaque de pluie, les yeux brouillés de larmes, Valentino fixe la silhouette de son père disparaître derrière la porte qui claque devant lui.
Putain. Il n’y croit pas.
«
…T’es putain de SÉRIEUX ?! » d’un coup, l’adolescent se lève, alors que ses chevilles tremblent sous le poids de son corps pourtant frêle. «
TON PROPRE FILS ?! »
Un premier coup retentit contre la porte, alors qu’il écrase son poing contre celle-ci. Une douleur aiguë se répand dans son poing, mais il s’en fiche. Il pourrait s’arracher un bras sans sourciller tant la rage bouillonne dans ses entrailles.
«
J’AURAIS DÛ LUI DIRE, À M'MAN ! J’AURAIS DU LUI DIRE À QUEL POINT T’ES UN CONNARD ! TU MÉRITES RIEN D’ELLE ! J’TE FERAI LA PEAU, TU VERRAS ! J’PISSERAI SUR TA TOMBE, TU VAS L’REGRETTER ! »
À nouveau, son poing s’écrase contre la porte, puis son pied, et dans une crise de nerfs pas possible, Valentino finit par se laisser tomber là, par terre. Frigorifié par la pluie.
J’aurais dû rester à la maison, hier. Il ne serait peut-être pas là s’il s’était bien gardé d’aller voir James la veille. James, avec ses jolies boucles blondes et son sourire de tombeur, qui est plus vieux, qui sait plus de trucs, qui lui, contrairement à Valentino, a l’air de savoir ce qu’il fait.
Putain, putain, ça craint. Frénétiquement, Valentino fouille au fond de ses poches, pour en sortir à peine quelques dollars. Et là, c’est la panique. Que faire ? Où aller ? Où dormir ? Pas moyen de faire de l’ordre dans son cerveau qui bouillonne encore. Comment croire à ce qui vient de se passer ? Qu’est-ce qu’il va devenir ?
Putain, je suis foutu. New-York, printemps 1973«
Lui en veux pas trop, papito. Il s’inquiète, c’est tout. Tu sais qu’il veut q’mon bien. »
Assommé par la fumée, Valentino tourne l’oeil vers le petit bout de femme accroché à son cou. Terré au fond de ses draps roses, il s’arrête, admire le visage de sa belle, mouvement fait et répété, encore et encore, des centaines de fois. Parfois avant de commettre l’irréparable, parfois avant de se servir de ses partenaires comme de vulgaires poupées de chiffon bonnes à le satisfaire ou à lui rapporter quelques liasses de billets. Ses prostitués ne se sont jamais plaintes, mais ça, c’est parce que ceux qui ont osé essayer reposent dorénavant au fond du fleuve le plus proche.
«
Moi aussi je m’inquiète, Viola. »
Viola, elle, n’est pas une prostituée. Non, elle est bien plus, pour ne pas dire qu’elle est tout. Tout ce qu’il aime, tout ce qu’il chérit, tout ce qui calme son esprit dérangé et torturé. Elle est jeune, Viola. Bien trop jeune pour lui. Hideuse réalisation lorsqu’il se regardait dans la glace, un peu plus tôt, en attendant l’arrivée en catimini de sa douce. Février dernier, il fêtait les débuts de sa quatrième décennie. Il aurait pu s’en réjouir, être reconnaissant de constater cette impressionnante ascension qui perdure encore vingt ans plus tard. Il n’était parti de rien, s’était débrouillé pour monter les échelons, a fait ses preuves. Et maintenant qu’il pouvait pleinement en profiter, il se voyait déjà devenir un vieux croulant.
«
…Je deviens vieux. -
…Mais qu’est-ce que tu racontes ?! »
Viola, petit rayon de soleil souriant, qui se redresse pour s’allonger sur le torse de Valentino, attrapant son menton alors qu’elle s’accroche à ce regard mélancolique, qui lui pince un peu le cœur.
«
Tu es beau, papito... Je m’en fous de tes rides, si c’est c’qui t’inquiète. Tu crois que j’risquerais que mon père me tue si j’le pensais pas ? »
Un petit sourire qu’elle vient de lui arracher illumine un peu le visage du maquereau.
«
Tu ne devrais pas plutôt traîner dans le lit de garçons de ton âge ? Hm ? Ils sont encore jeunes, ils ont tout l’avenir devant eux. -
Ils sont immatures, bêtes, et méchants. J’en veux pas, elle tranche, les sourcils froncés, terriblement contrariée par la résistance dont fait preuve Valentino, alors qu’elle se penche pour lui voler un baiser.
J’te veux que toi. »
Il n’en faut guère plus au plus âgé pour baisser sa garde, s’abandonner aux étreintes de sa dulcinée, ce péché mignon auquel il n’a jamais pu dire non, en dépit de cette culpabilité qui lui broie les entrailles. Elle mériterait mieux que lui, elle serait plus heureuse si elle vivait comme n’importe quelle jeune femme de son âge. Elle ne devrait pas s’accrocher à lui, et encore moins le provoquer comme ça, le bassin appuyé contre lui, de manière si tendancieuse. Il pourrait se damner pour elle.
«
J’veux qu’on se marie, Val. »
Coup de massue sur la tête. Pris de court, Valentino la pousse, ses mains solidement accrochées aux bras de Viola.
«
…Quoi ? -
S’il te plaît. J’en peux plus, de vivre comme ça. Papa me mène la vie dure… Il me prend encore pour une enfant… »
Emmuré dans un silence circonspect, il la fixe, en ne pouvant s’empêcher de se demander si, quelque part, elle n’a pas raison. Si ça ne vaudrait pas mieux pour eux deux d’officialiser les choses, et de voir ce qu’il adviendra plus tard. Il ne lui suffit que de s’imaginer cette vie tranquille pour finir par craquer.
Comment pourrais-je te dire non, princessa ?«
…Bien sûr, Viola. Tu seras ma star, ma muse, ma déesse. Les gens mourront de jalousie en découvrant tes films. Ils crèveront d’envie à l’idée d’être à ma place. Et moi, je te protégerai de tout. D’eux. Du monde entier s’il le faut. Je t’en fais la promesse. »
Front contre front, ils scellent ce pacte d’un simple baiser, sans se douter une seule seconde que cet acte entraînerait la chute directe du baron de la pornographie qu’était en train de devenir Valentino.
Californie, le 14 février 1974«
Entre. Dépêche toi, bordel ! Tu veux qu’on crève ou quoi ?! »
La porte blindée se ferme derrière eux, et terrés au fond de la panic room, Valentino et Viola se serrent l’un contre l’autre. Dehors, un raffut affreux.
Ils sont combien, putain ? D’une oreille, il les entend saccager son bureau, au sommet de la grande villa qui lui servait pourtant de forteresse. Le cœur au bord des lèvres, il sent tout son empire s’effondrer, tous ses efforts partir en fumée. Il sent la fin venir, la Mort arriver, et s’il espérait, autrefois, partir de ce monde de cette manière, à cet âge, Viola était enfin parvenue à le convaincre du contraire. Tout ce qu’il voulait, c’était couler des jours heureux. Loin de New-York. Loin du père de Viola, ce vieil ami qui s’était déclaré ennemi à la seconde même où la nouvelle de leur mariage était montée jusqu’à ses oreilles. Loin de son propre père, ombre qui le hante pourtant toujours aujourd’hui. Il aurait voulu rester loin de tout, loin de la vie, loin des ennuis, loin de son passé.
«
...C'est ma faute. »
Un murmure lui échappe, tremblant, au bord du sanglot. Il réalise alors toute sa bêtise. Tout son égoïsme.
C’est le karma. «
Je t’ai ruiné la vie. J’aurais pas dû répondre à tes caprices. Tu méritais une vie normale. Loin de l’influence d’un vieux mac qui ne comprend pas une gamine de ton âge. J’suis désolé. -
…Ferme-la. »
Comme un enfant que l’on vient de rouspéter, Valentino s’arrête, et baisse les yeux vers Viola, qui, le regard plein de reproches, lui grimpe dessus, s’acharnant sur la boucle de la ceinture de celui qu’elle appelle mari.
«
Quitte à crever, j'veux que tu me baises pendant, Val. J’veux pas que tu passes tes derniers instants à chialer. Sois un homme pour moi. S’il te plaît… »
Et Valentino répondit à cet appel, oubliant presque ce qui l’attendait à la fin, bloqué entre les cuisses de celle qu’il appelait femme, malgré sa vingtaine à peine entammée. C’est comme ça qu’il termina sa vie. Cadavre immobile, criblé de balles, le visage baignant dans un bain de sang, contre la poitrine encore chaude de sa dulcinée.
Juin 2024, Pentagram City, Tour des Vees Fin d’Extermination. Vox se remet encore à peine des récents événements qui l’ont tant galvanisé.
Alastor, enfin mis à mal. Oh, il s’en fiche bien, ça lui passe au-dessus de la tête, tout ça. Non, lui, il ne pense plus qu’à une seule personne.
Angel. A-t-il encore digéré le coup fourré qu’il lui a fait il y a quelques mois ? Oh, non. Sûrement pas. Valentino est trop rancunier pour ça.
«
Sors de là, Kitty. »
Un bras mécanique se fraye un chemin entre les jouets de Valentino, surgissant du tiroir de sa commode à la seconde même où le prénom du petit robot est prononcé.
«
Aide moi à me changer. »
Ordre soufflé entre deux bouffées de tabac, alors qu’il s’installe devant sa coiffeuse, et fixe son reflet, ses rides, ses poches, son regard fatigué.
Mécaniquement, il laisse Kitty s’affairer autour de lui, le déshabiller, le débarrasser de ses bottes, ses bas, sa lingerie. Enfin emmitouflé dans son peignoir en soie, il se lève, avant de s’étendre de tout son long dans son lit, au milieu de ses draps roses.
Angel. Si cette petite traînée pense pouvoir lui échapper comme ça, elle se trompe. Le contrat ne lui permet pourtant pas de garder pareille emprise sur son esclave. Quelque part, il se sent stupide. Il a l’impression d’y avoir perdu au change. Ce petit enfoiré l’a bien enculé.
«
Viens par là, Kitty. »
Sans broncher, le Robo Fizz grimpe sur le lit, et se love tout contre le torse découvert de Valentino. La journée se termine, et pourtant, il sait que le sommeil ne risque pas de lui rendre visite. Son regard vire vers le visage de poupée du petit robot. Silence. Le visage de Viola lui revient en tête, et seulement deux secondes plus tard, Kitty se retrouve écrasée dans un coin de la pièce, repliée sur elle-même, comme une poupée de chiffon. Pourtant, elle se relève, et revient, comme un bon petit toutou. L’air de rien.
De quoi tu te plains, Val ? C’est vrai, de quoi peut-il se plaindre ? De Velvet ? Il la chérirait pour l’éternité, sa petite dollface. Vox ? Il se damnerait une seconde fois juste pour lui. D’Angel ? C’est sa petite star, son jouet le plus précieux, sa perle rare…
Alors, de quoi tu te plains, Val ?
De rien. De rien du tout. Comme si elle lisait dans ses pensées, Kitty lui grimpe dessus, ses mains posées sur son bassin. Valentino est contrarié, Valentino est triste, alors il faut le distraire. Peut-être même qu’il trouvera le sommeil après ça.
Peut-être.