Histoire
Charlie Morningstar
Mémoires d’une Princesse aux grands rêves ou comment j’ai offert la Rédemption aux Pêcheurs.
À mon père, en espérant que la pomme ne soit pas tombée trop loin de l’arbre;
À Vaggie, sans qui rien de tout ça n’aurait été possible ;
À Angel, le premier à m’avoir fait confiance ;
À Alastor, là depuis le début ;
À tous ces gens qui comptent plus que tout. À l’heure à laquelle j’écris ces mots, je dois vous avouer que beaucoup diraient qu’il est trop tôt pour vous raconter mon histoire. Qu’elle est loin d’être encore finie, que mon plus grand projet, celui de toute une vie, n’en est encore qu’à ses premiers balbutiements. Et pourtant, je suis persuadée que le moment est venu. Qu’il est important pour moi de coucher ces pensées sur le papier dès maintenant, afin qu’elles soient le plus authentique possible. Que les auteurs des livres d’Histoire puissent parler de ce qu’il se passe en ce moment comme s'ils y étaient, raconter mon histoire avec encore plus de précisions qu’ils ne l’ont fait celles de mes parents. D’aussi loin que je me souvienne, les contes et fables de leur rencontre ont toujours été chers à mon cœur. Je n’étais jamais aussi excitée que lorsque j’en trouvais une nouvelle version, me précipitant vers eux pour la leur montrer, leur demander une énième fois de me raconter comment
eux ont vécu les choses. Souvent, c’était Maman qui s’en chargeait. C’est qu’il ne fallait pas déranger Papa selon elle. Parce que Papa est fatigué, Papa a trop de travail, Papa n’a pas le temps. Et je suppose qu’elle avait raison, en un sens. Je suis désormais bien placée pour savoir que s’occuper du bien-être d’autant de gens, ce n’est pas exactement de la tarte… Mais lorsque c’était lui, lorsque nous arrivions à passer un petit moment ensemble… Tout était si différent.
Ses histoires étaient les meilleures que je n’ai jamais entendues. La magie de ses mots me fascinait, m’entrainait dans un univers d’or et de paillettes dans lequel je m’engouffrais avec la plus grande des joies. Et en l’écoutant, des petites graines de rêve étaient plantées au plus profond de moi. Les yeux brillants et écarquillés, j’essayais déjà de m’imaginer à sa place, prête à aider et protéger les Humains. À me sacrifier, à être prête à leur consacrer ma vie pour que la leur soit la plus douce possible, exactement comme il l’avait fait en offrant la Connaissance à Maman et Eve, alors même que ce geste lui a grandement coûté… J’ai toujours admiré mon père. Même si nous n’étions pas très proches, il y a toujours eu ce lien immatériel et pourtant si tangible entre nous, que j’aurais presque pu toucher du doigt si j’avais un peu insisté… Mais c’est avec ma mère que j'ai passé le plus clair de mon temps. C’est elle qui se chargeait de mon éducation… Et de tout, en réalité. Du moins, à ma connaissance. C’est vrai qu’elle n’arrêtait pas de dire que Papa était trop occupé pour s’occuper de moi, mais je n’ai jamais bien su à quoi, puisque c’est toujours elle qui était en charge du Royaume. Avec son chant, elle inspirait les Sinners, avec ses idées, elle tentait d’instaurer un semblant de société qui puisse fonctionner. Et à ses côtés, j’ai tout appris. Elle aussi, a toujours eu beaucoup d’empathie pour notre peuple. Si on aurait pu croire qu’en étant élevée par Lilith et Lucifer, la Rébellion et l’Orgueil en personne, je deviendrais une princesse capricieuse et égoïste, j’aime à croire qu’il n’en est rien. Que comme mes parents, je saurais me rendre utile, les guider avec mes chants et mes idées… Même si avec le temps, j’ai peut-être commencé à douter. Pour moi, mes parents ont toujours été des modèles, alors, quand ils se sont séparés… C’est tout mon monde qui s’est effondré. Comment étais-je censée continuer de croire en l’amour alors que sa représentation la plus pure venait de voler en éclats ?
Pourtant, j’avais 15 ans quand j’ai cru, pour la première fois, l’avoir trouvé à mon tour. Il s’appelait Seviathan, et nous avions presque grandi ensemble. Ça peut paraître un peu bizarre dit comme ça, mais je vous assure que non ! À mes yeux, c’était une histoire si romantique que celle de deux amis réalisant soudainement les sentiments qu’ils avaient l’un pour l’autre. Et puis tout le monde était si ravi de notre choix, nos familles ayant toujours été amies. À vrai dire, c’est même la naissance de Seviathan qui avait insufflé l’idée de la mienne… Presque comme si nous étions réellement fait l’un pour l’autre. Les fiançailles furent vite annoncées, et le souvenir de l’allégresse que je ressentais à l’époque est toujours un peu grisant. Même si je sais désormais que ça n’aurait pas été le bon choix. Parce qu'entre-temps, j’ai rencontré quelqu’un d’autre. Et à la seconde même où je l’ai vu, mon cœur a loupé un battement. Là, étalée sur le sol, ses cheveux courts encadrant parfaitement son visage… Elle était si jolie, malgré ses blessures et son air fatigué. Et comme pour chaque Sinner que j’aide après une Extermination, mon cœur saignait pour elle. Je crois que c’est à peu près à ce moment-là que j’ai pris une décision : celle de faire changer les choses. Le seul petit souci étant que je ne savais pas encore comment.
Ça et le fait que nous étions pile à la période où ma vie s’effondra en même temps que le mariage de mes parents. Le divorce était une chose… Mais la disparition de Maman en était une autre. Après m’avoir annoncé qu’elle et Papa se séparaient, elle est partie. Tout simplement. Sans donner de destination, et encore moins de nouvelles. J’ai bien essayé de l’appeler, mais, disons que… Peut-être qu’elle ne capte pas, là où elle est. Ou qu’elle est trop occupée. Des messages, j’en ai laissé des tas, la tonalité du répondeur désormais plus familière que la voix de ma propre mère. Les monologues interrompus par un bip sonore sont devenus une habitude, presque un journal intime à mes yeux. Au point ou je ne suis même pas sûre de si j’ai réellement envie qu’elle les écoute. Avec le recul, tous les messages accumulés sont peut-être un peu… Larmoyants. Je crois que j’espérais juste lui tirer une quelconque réaction... Au moins un message en retour, un signe. Avec Papa qui manquait à l’appel aussi, enfermé dans son palais sans jamais me rendre visite… J’avais terriblement besoin d’elle. De ses conseils. Mais les années passèrent et il a bien fallu se rendre à l’évidence. Maman ne reviendrait pas de si tôt. J’allais devoir me débrouiller toute seule.
Enfin, pas tout à fait… Vous vous rappelez de la si jolie jeune femme rencontrée après une extermination ? Grâce à mon aide, elle s’est vite remise sur pieds et que nous sommes devenues bonnes amies au passage… Contrairement à Seviathan, qui a tout de suite ri de mes projets d'Hôtel, elle, elle m’a toujours soutenue. Elle était là pour m’épauler, m’encourager, me soutenir… C’est avec elle que j’ai mis au point le Happy Hotel. Et lorsque j’ai brisé mes fiançailles… Elle est devenue tout pour moi. Ma partenaire, ma meilleure amie, mon pilier. Mon univers. Et soudainement, tout allait un peu mieux. Avec elle à mes côtés, j’avais l’impression de pouvoir porter les septs anneaux infernaux à bout de bras. Alors je me suis lancée. Nous avons trouvé notre premier invité, et quelle aubaine que d’avoir pu recruter Angel Dust en personne ! Certes, nous avons tout de suite su qu’il ne serait pas le plus simple à réhabiliter… Mais j’étais sûre de nous, certaine qu’on y arriverait, avec un peu d’huile de coude et de bonne volonté ! Même si l’avis du public était loin d’être le nôtre…
Je pense ne pas avoir exactement besoin de vous raconter comment s’est passé l’annonce télévisée de l’ouverture de l'hôtel. Un désastre. C’était un désastre. Angel n’était pas prêt, mes talents d’improvisation n’ont pas su convaincre les téléspectateurs et encore moins cette pétasse de Katie Killjoy. Qui porte très bien son nom, si je puis me permettre ! Mais là n’est pas le sujet. Malgré un départ catastrophique, nous avons réussi à attirer un nouveau bienfaiteur: Alastor. Et si Vaggie n’était pas certaine que ce soit une bonne idée, moi, j’ai décidé d’y croire. Parce que tout le monde a droit à une chance. Même lui… Et il a été d’une grande aide ! Avec le temps, il est devenu le protecteur de l'Hôtel, et je ne pourrais jamais lui en être assez reconnaissante. Tout ça, c’était il y a désormais un an. Et quelle année, Chers Lecteurs… Ce qui a vraiment marqué le début du changement, c’est un appel de mon père, me demandant de le remplacer pour une réunion avec un émissaire angélique… Moi ? Vous vous rendez compte ? Il voulait que
moi je rencontre quelqu’un envoyé du Paradis pour discuter de la situation en Enfer ! C’était parfait ! Le moment idéal pour leur exposer mon plan !
Le seul petit souci était l’émissaire en question. Mes parents m’avaient longuement parlé d’Adam, jamais de façon très élogieuse, et, hum… Disons que j’ai très vite compris pourquoi. Comment est-ce qu’un aussi grossier personnage pouvait être au Paradis, alors que les plus belles âmes que je n'ai jamais connues étaient condamnées à une souffrance éternelle ici ? Bref, tout ça pour dire qu’il n’a pas exactement apprécié mon idée… Et qu’au contraire, il prit la décision de
doubler le nombre d’Extermination annuelles… Une nouvelle que je n’ai pas exactement bien prise. D’accord, j’ai complètement paniqué. Je ne compte pas le nombre de nuits blanches que j’ai passé à essayer de trouver une solution, en vain. Jusqu’à ce que je sois obligée de me rendre à l’évidence… J’avais besoin d’aide. Et si Maman ne répondait pas à mes appels… Papa, lui, l’a fait. Il est venu voir l’hôtel, m’a obtenu une audience au Paradis directement… Il a fait de son mieux. Et la joie que j’ai pu ressentir en renouant avec lui était indescriptible. Certes, ça n’efface pas les années d’absence et de négligence, mais c’est un meilleur début que je n’aurais jamais pu espérer. La confirmation de ce que j’avais toujours pensé : on est pareil, lui et moi.
Si seulement l'audience avait pu aussi bien se passer… Disons que ma visite au Paradis était… Intéressante. Informative. Contrairement à ce que je pensais, là-bas, très peu de gens étaient au courant de ce qu’il se passait en Enfer… Emily, une séraphin avec qui je me suis tout de suite liée d'amitié, fut la première surprise en découvrant le pot aux roses. Malheureusement, même toutes les deux, nous n’avons rien pu faire. Même si Angel remplissait les critères arbitraires qu’ils avaient fixés pour accéder au Paradis, ils ne voulaient rien entendre. Pire, Adam décida sur le moment que l’Hôtel serait la première cible de la prochaine extermination, juste après m’avoir annoncé que Vaggie, que j’avais toujours pensé victime elle aussi, avait en réalité participé à tout ce massacre. En y réfléchissant, c’était peut-être évident, et pourtant… Pourtant, je n’avais rien vu. Je l’avais laissé me mentir depuis des années, me cacher ce si terrible secret, et… Je ne vous cache pas que c’était douloureux. Que j’ai passé quelques jours à me morfondre sous la couette. Et j’y serais peut-être toujours si Alastor ne m’en avait pas tirée… Avec Rosie, ils m’ont aidé, m’ont remonté le moral, remotivée jusqu’à ce qu’à mon tour, j’arrive à insuffler l’envie de se défendre au peuple de Cannibal Town. Parce que, que je le veuille ou non, mensonge ou pas mensonge, les anges allaient venir. Et il fallait que nous soyons prêts à les accueillir.
Alors, aidée par Carmilla, nous avons pris les armes, les avons attendu de pied ferme. Et la bataille fut terrible. Du sang, partout. Des morts, des cris, des larmes. Quand j’y pense, mon cœur se serre, la bile me monte aux lèvres, je… Sans l’aide de mon père, sans le sacrifice d’un de nos amis… Je n’ose même pas imaginer ce qui aurait pu se passer. Et tout ça, c’était de ma faute. Parce que j’ai échoué à convaincre le Paradis de m’écouter, parce que je n’ai pas réussi à faire mieux. Et même si tout le monde s’accorde à dire que les choses n’ont jamais autant avancées que depuis cet événement… Je porte toujours au fond de moi la culpabilité de tous ces morts. Mais la vie doit continuer, n’est ce pas ? Si je baisse les bras, tout est fini. Plus de Rédemption, plus de Paradis pour les miséreux. Alors je me suis relevée, mené la reconstruction de l’Hôtel… Et même si je sais que désormais tout n’a pas été vain, qu’en se sacrifiant, Sir Pentious a pu le trouver, son pardon divin… Tout n’est pas gagné pour autant. Une Extermination est toujours prévue à la fin de l’année, et je ne suis pas certaine de comment réitérer l’expérience…